Dans le froid de l'hiver, quand les journées sont marquées par la grisaille des nuages, j'aime ouvrir des espaces de douceurs. Enveloppé par la chaleur du feu d'un poêle à bois, je crée des moments de thérapie, en particulier par le massage et le toucher. Les peaux, les muscles, les ligaments, les corps et les êtres s'offrent alors une délicatesse comme un dessert sucré, celle d'être touché, étiré et caressé. Ils s'offrent de l'amour, de l'amour qui passe par les mains, sublimé par une intention claire, celle d'apporter du réconfort, de la douceur et de la tendresse. Ainsi, celui ou celle qui s'abandonne vit un voyage, immobile et intérieur, qui permet de guérir les blessures invisibles, celles de l'âme.
Pour qu'il soit magique, chamanique et magnifique, j'ai préparé ce voyage bien avant. J'apporte le soleil de l'été, la vie des montagnes provençales et un peu de mon monde féérique. L'essence d'une plante sauvage, la lavande, accompagne les voyageurs, avec quelques gouttes dans l'huile de massage.
Cette essence de lavande, vient d'un processus alchimique, d'une aventure de druide. Le processus commence par la cueillette de la lavande sauvage dans la montagne des Baronnies provençales. Entre 800 et 1000 mètres, je coupe des fleurs d'une petite plante qui pousse entre les cailloux de calcaire blanc, d'une terre argileuse bien pauvre. L'alchimie est à l'oeuvre. C'est un premier miracle qu'une telle plante pousse là, dans de la caillasse, dans le soleil brûlant de l'été et le froid mordant de l'hiver. Le deuxième, est celui de l'inventivité qu'il a fallu pour que la vie concentre autant de substances guérissantes dans une si petite fleur. Pensez-donc, les racines tiennent dans le peu de terre qu'elle trouve entre les cailloux. Un miracle ! Une magie !
La suite demande de la patience, celle d'aller dans le soleil, de couper les fleurs avec une faucille, celle de se griffer les jambes dans les broussailles, celle d'avoir les chaussettes pleines d'épis d'herbes sauvages. La patience de marcher dans les cailloux et redescendre la saquette pleine. Lentement, pour goûter la vue, somptueuse. Lentement, pour se nourrir de la chaleur du soleil, du vent, des bouffées de l'odeur forte de la lavande. Lentement, pour rafraîchir le corps dans un trou d'eau de la rivière. Une eau fraîche qui sort de la montagne, comme un élixir de vie. Si vous êtes pressé, l'alchimie s'échappe. La lavande s'offre, se donne. Alors, à chaque coup de faucille, c'est le cœur qui se remplit de gratitude.
La saquette est vieille, un vieux tissu de lin, épais et rugueux, hors d'âge, jauni de la sueur de mes ancêtres. La faucille respire un autre âge, dont le bois du manche me relie à mes aïeux. Ils ont coupé tant de lavandes, trop, que leur dos a souffert d'être plié. Ici, j'ai la chance d'aller à mon allure ; celle d'un fou, oublieux du capitalisme et de sa rentabilité. Je suis déjà relié aux corps et aux êtres qui seront touchés et guéris par l'huile de la fleur violette. Alors, je vais à ma vitesse.
Une fois revenu dans le village, j'étale la lavande dans le soleil pendant quelques jours. Le peu d'eau en elle, s'évapore. Sèche, elle est prête.
Le processus alchimique suivant nécessite la force du feu pour défaire ce que le soleil, l'air et la terre ont élaboré. Il s'agit de faire passer de la vapeur dans la fleur, pour en récupérer les composés magiques : les huiles essentielles. L'essence, l'âme de la plante s'offre dans le feu d'un vieux poêle à bois, où une vieille cocotte minute sert de contenant. La fournaise de ce moment est dense, car il en faut de l'énergie pour capter ce que la nature a condensé dans la lavande. L'eau chauffée devient vapeur. En la refroidissant d'un coup, dans un serpentin, une spirale de verre pleine d'eau froide, voilà que sort sous la forme d'un tout petit filet, l'elixir. Parfum invisible de la plante violette, le voilà visible.
L'esprit de la plante qui flotte sur l'hydrolat, l'eau distillée, car l'huile est plus légère que l'eau, est récupéré avec un appareillage bricolé pour.
Un flacon de verre accueille le nectar, car comble de la magie, il dissout presque tous les plastiques.
L'alchimie est accomplie.
Chaque goutte d'huile est un miracle, une offrande d'une terre d'une beauté féerique et d'un univers puissant. Chaque goutte sur ton corps, c'est de l'amour invisible, du vivant condensé et de la magie odorante.
Je te souhaite de la savourer.
Jean Guillaume Bellier